mardi

Le point de vue


Qu’est-ce qu’un point de vue au cinéma ? Librement adapté des « Fils de la vierge » de Julio Cortázar, « Blow up » est l’histoire d’un photographe pris au piège des illusions qu’il nourrit sur la réalité. Une série de clichés qu’il développe lui montre qu’il existe une profonde différence entre ce qu’il croit voir et ce qu’il y a à voir. Ce film à la lenteur introspective constitue une formidable interrogation sur le regard et la réalité, sur la reconstruction évidemment illusoire de celle-ci et, au-delà, sur la valeur du champ et du hors-champ au cinéma.
 
Un parc londonien, un couple au comportement étrange, un photographe en quête de sujet. Celui-ci passe à côté d’une vieille dame occupée à ramasser des papiers à l’aide d’un pic. Il l’ignore. Le pittoresque ne l’intéresse pas. Non, cet homme cherche à immortaliser des moments de « vraie » vie (cf. ses photographies réalistes sur les sans-logis de l’asile de nuit en début de film). Il est convaincu qu’il est l’œil qui sait voir, et qui voit pour tous ceux qui ne savent pas regarder. Il pense pouvoir capter la réalité. Aussi va-t-il apprendre qu’elle n’est pas réductible à son seul regard et qu’elle lui échappe également. Notre séquence est aussi pour le spectateur l’occasion de comprendre le sens du titre du film, Blow up, qui signifie « agrandissement », mais aussi « révélation » et... « explosion ».

[1]
D.R.
Thomas, le photographe, affiche maintenant les agrandissements des clichés qu’il a retenus. Sur l’un d’eux, on voit le couple enlacé ; la femme, la tête ostensiblement tournée vers la droite [1]. Un gros plan [2] redouble l’agrandissement et souligne son regard inquiet qui ne manque pas d’intriguer le photographe. Il va s’agir, en effet, pour lui de recomposer la scène image par image pour comprendre ce qui perturbe tant cette femme, par ailleurs prête à tout pour lui reprendre la pellicule. Son investigation a posteriori va, au sens propre, être révélatrice puisqu’il va constater, à l’aide de ses développements photographiques, qu’il existe une vérité cachée sous les trompeuses apparences de la réalité. Précisons ici que notre analyse ne s’attardera pas sur les enjeux éthiques du rapport couple/photographe (voir l’étonnante polysémie du verbe anglais to shoot) que la très grande profondeur de champ au fond de laquelle se trouve le couple met en évidence. Au sens propre, le photographe, caché derrière une barrière, garde ses distances par rapport à son sujet. Parce qu’il sait qu’en matière de prises de vue (photographiques ou cinématographiques), la distance est une question de morale. Distance qui, par ailleurs, l’aura empêché de voir l’observateur-tueur à gages et peut-être d’interrompre le crime.
Pour ironique qu’elle soit, la question de la distance est une nouvelle fois à l’honneur puisque l’agrandissement de la photo du couple prive le photographe de l’objet du regard de la femme. Or, avec ce regard portant hors du cadre, c’est toute la question du hors-champ qui est posée et, avec elle, celle de la représentation de la réalité et du point de vue, c’est-à-dire de la fiction. Au sens large, c’est évidemment la signification de la réalité qui nous entoure et que l’on perçoit qui est en jeu ici. Que voit-on ? Qu’a-t-on choisi de nous montrer ? Quel est cet inconnu si riche et si mystérieux qu’est le hors-champ ? Autrement dit, quelle est la valeur de la réalité représentée dans le champ et de celle renvoyée au hors-champ, invisible mais pourtant bien « réelle » ?
Pour comprendre le sens du regard de la femme, Thomas doit reprendre de la distance et scruter un plan beaucoup plus large. Il trace la ligne imaginaire du regard qui se termine dans les fourrés [3]. Sa perplexité se lit sur son visage. À présent surcadré [4], Thomas fait face aux photographies, à nous-mêmes, à lui-même. Son regard inquisiteur questionne le nôtre. La caméra placée derrière les images indique qu’il doit aller au-delà des évidences, traverser le miroir des apparences pour connaître la vérité sur cette affaire (à noter la tonalité policière).
Retour au plan large de la photographie : l’homme scrute les détails à la loupe. Il encadre la partie des fourrés où il découvre une tache semblable à un visage d’homme [5]. Nouvelle photographie [6] qui annonce l’agrandissement final où la réalité devient de plus en plus abstraite. C’est-à-dire qu’en approchant au plus près des détails, la réalité se décompose pour ne plus former qu’un agrégat de taches et de formes. Ce qui signifie qu’être trop éloigné des choses ne donne qu’une idée sommaire de la réalité. Être trop près la déforme. La réalité échappe donc à nouveau. Il faut, par conséquent, trouver la bonne distance.
Un court panoramique droite-gauche mimant le regard subjectif du photographe va du visage inquiet de la femme [7a] à la silhouette cachée dans les fourrés [7b]. Ce va-et-vient de la caméra assure concrètement (comprendre visuellement) le lien étroit entre celle qui regarde et l’objet de son regard. Songeur, le photographe [8] ne sait pas encore qu’il vient d’établir la preuve de la complicité de la séductrice avec le meurtrier dissimulé dans les fourrés. Une autre photographie, agrandie elle aussi, la montrera un peu plus tard, debout, près de son compagnon, mort à ses pieds.
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Cette séquence qui trouve un écho significatif dans la partie de tennis entièrement mimée de la fin du film montre combien la réalité et les apparences peuvent se confondre. Elle rend ici visible le caractère irréductible de la réalité et souligne la difficulté d’en percevoir le sens au-delà des apparences. La préhension de la réalité ne saurait, en effet, se limiter à notre seule perception, notre subjectivité, notre unique point de vue. Il faut donc en accepter le caractère illusoire. C’est ce que Thomas le photographe fera in fine lors de la vraie-fausse partie de tennis en renvoyant une balle imaginaire aux deux joueurs. « Le monde, la réalité où nous vivons, nous dit Michelangelo Antonioni, sont invisibles et l’on doit donc se contenter de ce que l’on voit. » (In Antonioni d’Aldo Tassone, Flammarion, 1995.)
 
 
Philippe Leclercq
 
 
Blow up, un film anglais de Michelangelo Antonioni (1966, VM), scénario de Michelangelo Antonioni et Tonino Guerra, avec David Hemmings (Thomas), Vanessa Redgrave (Jane), Sarah Miles (Patricia).
1 h 51 min

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Où exactement

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